La montée en puissance de la Turquie, de l'Iran et du Maroc au Sahel - FINECO

La montée en puissance de la Turquie, de l’Iran et du Maroc au Sahel

La montée en puissance de la Turquie, de l'Iran et du Maroc au Sahel

À la suite du retrait de la France, la Turquie, l’Iran et le Maroc intensifient leurs efforts en direction des régimes militaires du Sahel, cherchant à diversifier leurs partenariats.

Des avions de chasse, des hélicoptères de combat… Devant les caméras de la télévision burkinabè, le directeur de l’agence turque de l’industrie spatiale et aéronautique présente un catalogue attractif pour les régimes militaires confrontés aux groupes jihadistes. Le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Karamoko Jean Marie Traoré, rappelle un des principaux objectifs des régimes sahéliens, dont les forces armées souffrent d’un équipement insuffisant chronique : « Nous cherchons à développer nos capacités internes pour réduire notre dépendance ». En effet, ces régimes dépendent largement des forces étrangères, notamment françaises et d’autres pays occidentaux, qui ont été déployées dans la région pendant plus de dix ans et hésitent à fournir du matériel offensif à des armées accusées d’abus contre les civils. Pendant que les troupes françaises se retirent, les drones de combat fournis par la Turquie deviennent des éléments clés des stratégies des armées maliennes et burkinabè engagées dans un conflit asymétrique.

Dommages collatéraux. Selon un rapport de janvier de Human Rights Watch (HRW), ces drones ont causé de nombreuses victimes civiles, une affirmation rejetée par les autorités. Au début de l’année 2024, le Mali a reçu un nouveau lot de drones turcs Baykar, appréciés pour leurs performances, ce qui a valu au PDG de l’entreprise, Haluk Bayraktar, d’être décoré à Ouagadougou en avril 2022 sur ordre du capitaine Ibrahim Traoré, figure influente au Burkina Faso. Federico Donelli, politologue et auteur d’un livre sur l’influence turque en Afrique, souligne que, le secteur de la défense est au cœur de la politique étrangère turque en Afrique. Alors que Moscou se positionne comme le principal allié des régimes militaires du Sahel, Ankara adopte une politique « opportuniste », cherchant à être une alternative aux Européens et à la Russie.

Ancien ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Çavuşoğlu a été la première personnalité internationale de haut niveau à rencontrer la junte militaire malienne après le coup d’État d’août 2020. Ankara a également adopté une attitude conciliante envers la junte au Niger, un pays clé dans la région en raison de sa position à la frontière sud de la Libye, où la Turquie a de nombreux intérêts. Ankara travaille également sur un projet de corridor transsaharien reliant les pays du Golfe de Guinée à l’Algérie, un autre bastion nord-africain des investissements turcs.

Concurrence du Maroc et de l’Iran. Un projet concurrent a été lancé par le Maroc, qui a proposé en septembre de mettre ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires à la disposition du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, pays enclavés. Ces trois premiers ont annoncé en janvier leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

« La Turquie possède des capacités militaires, mais avec le Maroc, nous avons d’excellentes relations depuis l’indépendance, et il s’agit plutôt de développement économique », explique une source gouvernementale nigérienne. Le Maroc et la Turquie, dont l’influence dans la région est ancienne, pourraient faire face à une nouvelle concurrence de l’Iran, qui multiplie les initiatives depuis les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger en 2020. En octobre, Téhéran a signé plusieurs accords de coopération avec le Burkina Faso, notamment dans les domaines de l’énergie, de l’urbanisme, de l’enseignement supérieur et de la construction. L’Iran, également producteur de drones de combat, a annoncé fin janvier la création de deux universités au Mali, en plus de la signature de divers accords de coopération.

Thierry Coville, économiste spécialiste de l’Iran à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), souligne que la politique africaine de l’Iran est caractérisée par un langage révolutionnaire, une logique tiers-mondiste et anti-impérialiste, avec des arguments diplomatiques évidents pour des pays en rupture avec l’ex-puissance coloniale française. Cependant, il souligne que les Iraniens signent de nombreux accords sans que ceux-ci se concrétisent. Ils manquent de financements pour soutenir ces accords et rivaliser sérieusement avec la Turquie ou l’Arabie saoudite.

Concernant l’uranium du Niger, exploité jusqu’à présent par la société française Orano, une source gouvernementale nigérienne déclare que c’est une ressource nationale pouvant être vendue à n’importe qui.

Fiacre VIDJINGNINOU