Afrique : Pourquoi les voyages en avion coûtent trop cher

Selon une étude de l’Association du transport aérien international (IATA) en 2021, « l’Afrique est la région (du monde) où les prix des billets d’avion sont de loin les plus chers pour voyager à l’intérieur du continent » en raison de mesures protectionnistes et de droits de trafic élevés pendant que les projets de libéralisation du secteur aérien peinent à prendre.
Un onéreux chemin de croix pour voyager en avion à l’intérieur du continent africain. Par exemple, pour parcourir les 1.000 km entre Libreville et Bangui, il faut compter au mieux neuf heures et 1.000 dollars. Or en Europe, un vol Paris-Madrid – sur la même distance – dure deux heures et vaut cinq fois moins cher. La plupart des voyageurs sur le continent se plaignent des difficultés de voyages et surtout des tarifs exorbitants. « Le coût d’un voyage en Afrique est très élevé », regrette Ahmed Mekewi, habitué à voyager dans le cadre de son travail. Cet ingénieur kényan de 29 ans confie qu’il n’aurait pas pu voyager ainsi par « ses propres moyens ». Pour Moses Munga, consultant dans le BTP rencontré à l’aéroport de Nairobi, en attendant son vol pour le Ghana, « les déplacements en Afrique sont très difficiles », pénalisant les affaires. « Quand on a trouvé un client et qu’on établit son devis, on doit inclure le coût élevé du voyage. (…) Tout le monde n’est pas en mesure de l’assumer et on doit (parfois) abandonner certains contrats », explique-t-il.
La cherté des voyages en avion en Afrique s’explique par les politiques protectionnistes mises en place par la plupart des États africains et par des taxes élevées dans un contexte où le marché aérien africain n’est pas encore libéralisé contrairement, par exemple, à l’Europe qui a ouvert son marché dans les années 1990.
La faute à l’inexistence d’un marché aérien africain unifié
« En Europe, Air France, par exemple, peut faire le nombre de vols qu’elle veut vers l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne ou le Portugal », explique un expert du secteur aérien africain, qui a requis l’anonymat en raison de ses fonctions. Or, ajoute-t-il, « cette liberté (…) n’existe pas à l’intérieur de l’Afrique » pour les compagnies africaines en raison de la parcimonie avec laquelle certains États accordent des « droits de trafic » permettant d’opérer sur leur territoire. Dans la pratique, ces « droits de trafic » restreints limitent le nombre d’itinéraires directs et la fréquence des vols, et rallongent les trajets. Par exemple, l’étude de l’IATA réalisée en 2021 pour le compte de l’Union africaine (UA) révèle que sur les 1.431 liaisons possibles entre chacun des 54 pays de l’UA, seules 19% bénéficiaient d’un vol direct au moins hebdomadaire.
Les projets de libéralisation du secteur aérien africain peinent à décoller. Pourtant, les dirigeants du continent ont délibéré en 1999 à Yamoussoukro de la nécessité de cette libéralisation puis ont décidé en 2018 de créer un marché unique du transport aérien africain (SAATM en anglais).
L’idée, rappelle Robert Lisinge, est de « lever (les) restrictions ». « Si vous libéralisez le marché, cela accroîtra le nombre de liaisons (aériennes) et fera baisser les coûts », analyse le chef de la Division Energie, Infrastructures et Services à la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU (ECA). Mais, fait-il observer, « il reste de nombreux accords bilatéraux relatifs aux services aériens et beaucoup de restrictions » qui empêchent les compagnies d’opérer « autant de vols qu’elles souhaitent, avec des avions de la capacité de leur choix ».
Ces « mécanismes protectionnistes » mis en place par certains pays « pour favoriser leurs compagnies locales (…) entravent la concurrence et font grimper les prix » des billets, souligne Linden Birns, consultant dans le secteur aérien basé en Afrique du Sud. Il en résulte donc « le trafic aérien est tellement cher en Afrique qu’il ne se développe pas et que les lignes restent mal desservies », déplore Guy Leitch, analyste aéronautique et éditeur du magazine sud-africain SA Flyer.
Des taxes prohibitives en plus
Or la libéralisation est porteuse d’importants gains économiques pour el continent. Selon une autre étude de l’IATA de 2014 portant sur 12 pays (trois dans chacune des sous-régions du continent), une libéralisation du marché aérien entre ces pays ferait bondir le trafic de 81%. Ce sont quelque ,3 milliard de dollars d’activité économique supplémentaire que génèrerait la suppression des barrières entre ces 12 pays, favorisant la création de 155.000 emplois.
Outre les « restrictions » mises en place par les États, « les taxes très élevées » en Afrique pour l’utilisation des services de navigation aérienne ou les installations aéroportuaires, mais aussi le coût élevé du kérosène sur le continent, expliquent le prix des voyages aériens intra-africains, analyse Robert Lisinge.
En raison des faibles capacités africaines de raffinage, le kérosène en Afrique est majoritairement importé. Il est alors « souvent 30% plus cher qu’ailleurs, y compris dans les aéroports de pays producteurs de pétrole », confirme l’expert africain ayant requis l’anonymat.
« L’Afrique est vaste, les liaisons routières sont relativement mauvaises » et les lignes ferroviaires peu nombreuses, rappelle M. Lisinge, en évoquant le projet de Zone de libre-échange continentale africaine (ZLCAf): « le transport aérien est nécessaire pour transporter les biens périssables et les commerçants, mais aussi les experts dont aura besoin le commerce intra-africain ».
Gervais Loko
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