Sahel : La ruée des nouveaux coopérants - FINECO

Sahel : La ruée des nouveaux coopérants

Sahel : La ruée des nouveaux coopérants

Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger n’ont pas que la Russie pour tourner la page de la dépendance avec l’ex-puissance coloniale française. Leur projet de diversification des partenariats attire de plus en plus des pays comme la Turquie, le Maroc et l’Iran.

Tout en symbole la décoration du Turc Haluk Bayraktar à Ouagadougou le mardi 25 avril 2022. Le PDG du constructeur d’appareils aériens sans pilote (drones, UAV) a été élevé au rang d’officier de l’ordre de l’Étalon sur instruction du capitaine Ibrahim Traoré, président de la transition et « pour ses contributions exceptionnelles aux activités de maintien de la paix, de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme » au Burkina Faso, permettant à l’armée burkinabè d’être équipée de drones Bayraktar TB2 dans ses campagnes contre les groupes djihadistes.

En décembre 2022 tout comme en mars 2023 et en janvier 2024, le Mali a également réceptionné dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme, des drones de surveillance et de combat de dernière génération de type Bayraktar TB2 ainsi que des avions de chasse L-39 Albatros de fabrication turque et russe.

Après le retrait des troupes françaises, les drones de combat livrés par la Turquie sont devenus des pièces maîtresses des dispositifs des armées du Mali et du Burkina Faso, sous-équipées et durement éprouvées par les combats contre les groupes djihadistes. L’enjeu, rappelle le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Karamoko Jean Marie Traoré, est de « développer les capacités endogènes de manière à réduire notre dépendance ». Une dépendance aux forces étrangères, notamment de la France et d’autres pays occidentaux, qui ont été déployées pendant plus de dix ans dans la région, et rechignent à livrer du matériel offensif à des armées accusées de perpétrer des exactions contre les populations civiles. Un rapport publié en janvier par l’ONG Human rights watch (HRW) dénonce ainsi des frappes à l’origine de nombreuses victimes collatérales ; ce que nient les autorités.

La défense, moteur de la coopération avec la Turquie

Pour Ankara, le Niger est un pays clé dans la région car « situé à la frontière sud de la Libye, où Ankara possède de très nombreux intérêts », explique le groupe de réflexion italien ISPI. Visiblement, Ankara a adopté une « position conciliante » avec les régimes militaires du Sahel à qui il fournit une bonne partie de leur armement. La société Afro Turk s’était engagée en avril 2023 à construire deux bases militaires dans la région du Sahel après avoir bénéficié de contrats de cession de deux importants gisements miniers au Burkina Faso. Ankara mûrit également un projet de corridor transsaharien reliant les pays du Golfe de Guinée à l’Algérie, autre bastion nord-africain des investissements turcs, souligne Federico Donelli. Pour ce politologue et auteur d’un livre sur l’influence turque en Afrique, « le secteur de la défense est le moteur de la politique étrangère turque dans les pays africains.

Nonobstant le positionnement de Moscou comme le principal allié des régimes militaires sahéliens, Ankara fait montre d’une politique « opportuniste » en se positionnant comme « une alternative aux Européens et à la Russie », explique Federico Donelli.

Le Maroc et l’Iran s’y mettent aussi

A l’instar de la Turquie, le Maroc et l’Iran avancent leurs pions au Sahel. Le Maroc veut faciliter l’accès à l’Océan Atlantique au Mali, Burkina, Niger voire au Tchad en leur ouvrant dès septembre prochain « ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires ». Rabat entend venir ainsi à la rescousse aux trois pays sahéliens qui ont décidé, en janvier, de tourner le dos à Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). L’objectif du Maroc n’est pas le même que celui de la Turquie comme le confirme une source gouvernementale au Niger : « la Turquie a des capacités militaires. Avec le Maroc nous avons d’excellentes relations depuis l’indépendance, et il s’agit plutôt de développement économique ».

Le Sahel attire aussi l’Iran qui, en octobre 2023, a signé plusieurs accords de coopération avec le Burkina Faso, notamment dans les domaines de l’énergie, de l’urbanisme, de l’enseignement supérieur, et de la construction.

Également producteur de drones de combat, Téhéran a annoncé fin janvier la création de deux universités au Mali, en plus de la signature de divers accords de coopération.

Avec l’Iran dans le Sahel, difficile de ne pas penser aux réserves d’uranium du Niger, exploitées jusqu’à présent par la société française Orano. L’Iran, qui a augmenté sa production d’uranium enrichi à 60% selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), est un sérieux client du Niger qui se bat pour vendre cette précieuse ressource « à qui il veut » comme le souligne une source du gouvernement du général Abdourahmane Tchiani.

La volonté d’indépendance des pays sahéliens vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale française est exploitée à fond par Téhéran dont la politique africaine était résolument caractérisée par « un langage révolutionnaire, une logique tiers-mondiste et anti-impérialiste », assure l’économiste Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Sauf que Téhéran n’a pas toujours les moyens de ses ambitions en Afrique : « les Iraniens signent des dizaines d’accords et aucun ne marche. Ils n’ont pas les financements nécessaires pour soutenir des accords, ni pour concurrencer sérieusement la Turquie ou l’Arabie Saoudite », explique Thierry Coville.